mercredi 12 septembre 2018

"Entre chiens et loups" de Malorie Blackman


"Je n'avais pas encore compris que les mots avaient un tel pouvoir. 
Ceux qui affirmaient que les mots ne pouvaient pas faire mal se trompaient."


Bon, je sais que je suis censée lire "Anna Karenine" en ce moment, mais vu le pavé qu'il représente, j'avoue que j'ai besoin de faire des petites pauses pour ne pas faire une indigestion de Tolstoï. Quant à "Chambre 507", j'ai un petit peu de mal a raccrocher les wagons. C'était une lecture sympa au bord de la piscine cet été, mais vu les belles découvertes littéraires que je fais en ce moment, la comparaison n'est pas favorable à J.C Hutchins et Jordan Weisman... Cependant je compte bien les achever dans peu de temps et vous en faire un article.

Toujours est-il qu'il y a deux semaines je suis tombée sur une chronique qui parlait d'"Entre chiens et loups" de Malorie Blackman. Bien que ce soit une lecture jeunesse, la couverture et le titre ont attisé ma curiosité. En me penchant sur le sujet, j'ai donc appris que ce roman prenait place dans une société où les privilèges sont accordés aux personnes noires (les Primas) tandis que les personnes blanches (les Nihilistes) font partie d'une classe socialement inférieure et traînent un lourd passé d'esclavagisme. C'est un roman qui a été publié en 2005 aux éditions Milan, et il s'agit du premier tome d'une saga de 4 livres.

"Imaginez un monde. Un monde où tout est noir ou blanc. Où ce qui est noir est riche, puissant et dominant. Où ce qui est blanc est pauvre, opprimé et méprisé. Un monde où les communautés s'affrontent à coups de lois racistes et de bombes. C'est un monde où Callum et Sephie n'ont pas le droit de s'aimer. Car elle est noire et fille de ministre. Et lui, blanc et fils d'un rebelle clandestin... Et s'ils changeaient ce monde ?"

Il n'en fallait pas plus pour me convaincre de rejoindre Sephie et Callum, les deux personnages principaux de l'histoire. Une fois que j'ai embarqué avec eux, difficile de décrocher du rythme haletant et des rebondissements fournis par l'auteure. Je l'ai dévoré en trois jours et j'ai hâte de voir ce que me réserve le second tome. 


Ce qui est intéressant ici c'est que, de prime abord, quand on lit la quatrième de couverture et qu'on entame le roman, on peut avoir l'impression d'embarquer dans une fiction dystopique, à la "1984" de George Orwell ou "La servante écarlate" de Margaret Atwood. En effet, il s'agit là d'une histoire reposant sur le principe qu'une partie d'un peuple en asservit et contrôle un autre, sous des motifs discriminatoires et totalement arbitraires. Pourtant, au fur et à mesure qu'on avance dans la lecture, on se rend compte qu'on est loin d'une dystopie aux caractéristiques exagérées. Au contraire, Malorie Blackman s'est fortement inspirée d'une réalité qui fait partie de notre histoire, de notre passé et même de notre présent. Cela est d'autant plus criant quand on voit que les personnes blanches ne peuvent pas partager les mêmes écoles que leurs homologues noirs. De même, quand on apprend que les relations amoureuses entre eux ne sont pas acceptées par la société. On n'est pas si loin d'une réalité d'il y a quelques années, et le mot "apartheid" ne peut que résonner d'une manière significative à la lecture de ces passages. Cette ségrégation raciale sur laquelle s'appuie l'auteure a existé et c'est ce qui rend le roman encore plus puissant.


"Je me posais des milliers de questions qui ne m'avaient jamais effleuré jusqu'à présent. Pourquoi dans les vieux films en noir et blanc, les hommes nihils étaient-ils toujours des brutes, des alcooliques ou les deux ? Et les femmes nihils, des servantes idiotes ? Les Nihils avaient été nos esclaves, mais l'esclavage avait été aboli depuis longtemps. On n'entendait jamais parler des Nihils à la télé, sauf dans les faits divers aux infos."

Callum se fait contrôler de manière agressive dans le train, sous prétexte que les employés trouvent cela louche qu'il ait pu se payer un billet en première classe. 
Les livres d'histoire étudiés ne s'appuient que sur des exemples de personnalités noires. 
Tous les pansements vendus dans le commerce sont marrons, car ils ont été pensés pour une seule partie de la population. 
Maintenant, inversez les rôles de ces trois exemples et prenez le temps de réfléchir. 

Voilà, c'est ça "Entre chiens et loups", une puissante prise de conscience qui nous permet de nous décentrer de notre nombril blanc. Et on en a grand besoin. Toute la force de ce roman est donc de réussir à nous faire réfléchir à ces questions là, à travers un fil conducteur qui est la romance impossible et interdite entre Callum et Sephie. Malorie Blackman nous livre ainsi un Roméo et Juliette en noir et blanc, avec une plume engagée et sans tabous. 
Au niveau du style d'écriture, on est loin d'une littérature très poussée au vocabulaire complexe. Pour le coup, on retrouve les codes de la littérature jeunesse, mais pour autant, les thèmes qui sont abordés, vous l'aurez compris, sont loin d'être orientés dans ce sens. C'est à dire qu'au delà du racisme, elle n'hésite pas non plus à aborder de manière frontale et sans filtres, des sujets tels que : l'alcoolisme, le suicide, les troubles psychique, l'avortement ou encore la violence du système judiciaire. 

Finalement c'est très bien que Malorie Blackman ait choisie de publier sous cette forme, puisque cela permet de la rendre accessible à un public plus jeune. Très honnêtement, si vous ne devez retenir qu'une seule chose de ce roman, c'est qu'il devrait être mis dans tous les programmes scolaires de notre pays, et même à l'échelle internationale. C'est une grande claque qui nous force à bousculer complètement nos représentations et à reconsidérer tout ce qui fait partie de notre histoire pour la regarder sous un éclairage différent. Si chaque enfant était éduqué dès le plus jeune âge en ayant accès à ce type d’œuvres, croyez moi que les discriminations et le racisme auraient du mal à résister à leur esprit critique et éclairé. 

"N'oublie pas une chose, Callum, quand tu flottes dans une bulle, la bulle finit toujours par éclater. 
Et plus la bulle t'a emmené haut, plus la chute est douloureuse."

1 commentaire:

  1. J'avais beaucoup aimé Anna Karénine, mais par contre c'est vrai que c'est une sacrée pavasse.
    Sinon, j'ai entre chien et loup dans ma PAL depuis bien 2 ans je pense. Boire même 3. Et j'avoue que tu me donnes assez envie de le sortir, surtout avec l'automne qui arrive.

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